Le dîner est passé depuis longtemps, la télé éteinte depuis la fin du journal, le quart de somnifère dans son godet en plastique attend sur la tablette. Mais je tournais encore les pages du livre, fascinée par une histoire de paupières et de violon qui me semblait familière, quand m’est venue une sensation physique de pure douceur. Une fraction de seconde avant d’en reconnaître l’origine, les larmes ont envahi mes yeux.

Quelle étrange chose qu’un bébé si petit ! Je voudrais me pencher pour embrasser son front, mais je n’ose pas. Ses cheveux si fins tremblent sous mon souffle. La fontanelle bat, là, sous la peau, infiniment vulnérable et vivante. Mon cœur se serre d’un amour si violent que j’ai peur de lui faire du mal. Je retiens ma respiration.
Je voudrais me dissoudre dans cette seconde.
Mais il me semble entendre un bruit à côté… Dans un élan j’appelle, je veux voir mon homme, oh il est sûrement si près ! Toucher sa peau !
J’étends la main dans le vide… et dans l’infime courant d’air mon souvenir effarouché s’effiloche en un clin d’œil. Il ne me reste que la désespérante sensation d’avoir cassé un jouet magique.
La nouvelle bée entre mes mains comme une pochette surprise vide, sous l’abat-jour fatigué. C’est fini. J’ai beau la relire avec passion, elle a perdu son pouvoir.
Alors je ferme les yeux, infiniment vieille.
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