samedi 3 mars 2012

      David Grossman est un homme, vivant, israëlien.

      La femme fuyant l’annonce est son dernier roman.
      Ora a la cinquantaine, deux fils adultes, un divorce tout frais qui la rend fragile. Elle prépare une randonnée en tête à tête avec l’un de ses fils. Elle se réjouit.
      Quand au dernier moment celui-ci annule les vacances qui devaient fêter sa démobilisation pour se porter volontaire pour une « opération » spéciale dans les « territoires », Ora ne dit rien. Elle l’accompagne au point de rassemblement et lui recommande de bien se couvrir, de ne pas prendre de risque inutile. Elle partage l’arrière du taxi avec le fusil de son fils, sourit aux caméras, passe une dernière fois la main sur sa joue. Ni va-t-en guerre furibonde, ni mère courage, elle fait ce qu’on attend d’elle.
      Elle sait ce que promet le retour : la maison vide, et l’attente. C’est la malédiction des mères, l’attente hallucinée du coup de sonnette qui changera leur vie. Ora est une mère, elle les a imaginés mille fois, trois soldats en uniforme, avec un papier officiel et des mines de circonstance, porteurs de mort. Mais Ora est aussi une femme libre qui décide de prendre la tangente : elle part pour le désert, comme prévu, emmenant avec elle un compagnon inattendu. Tant que la nouvelle de la mort de son fils ne peut pas l’atteindre, il sera en sécurité.
      Ora est un magnifique personnage de roman, faite d’amour encore vibrant, d’un élan vital inextinguible, et des souvenirs d’une vie d’amours splendides avec Avram et Ilan, amis-amants à la Jules et Jim. Malgré toute son humanité, ses opinions libres sur la religion, la politique, son amitié de vingt ans avec son chauffeur arabe, sa conviction profondément ancrée qu’il ne faut faire de mal à personne, la guerre a infiltré tous les interstices de sa vie. C’est tout un peuple qui se manifeste dans ce roman, des vies entières trempées dans les eaux saumâtres d’une fausse paix, d’une fausse sécurité, d’une fausse bonne conscience.
      La guerre a envahi les espaces les plus intimes, elle est devenue névrose collective et individuelle, mais l’amour demeure, et la vie est puissante, qui porte ce livre d’un bout à l’autre dans un grand périple de vérité.