jeudi 27 janvier 2011

Orgueil


L’infirmière quitte la chambre de Baptiste en haussant les épaules. Il vient de la congédier avant même qu’elle n’ait pu dire bonjour. « Pas maintenant» a-t-il articulé sans bruit en écartant un peu le téléphone de sa bouche, accompagnant sa phrase d’un geste de la main, comme pour dire ouste. « Excusez-moi, mon assistante vient de m’interrompre. Vous disiez ? » : il se rencogne contre la fenêtre et poursuit sa conversation. Comme s’il n’avait pas au bras le sournois ver d’une perfusion.

Un peu plus tard, c’est son frère qui appelle pour la troisième fois en deux jours. Qu’est-ce qu’ils ont tous ?
-                     Mmh 
-                    
-                     Ça peut aller…
-                    
-                     Bof. Il ne connaît rien, celui-là. Un petit jeune. De toute façon je ne fais confiance qu’à Bretinger… Il est où d’ailleurs ? Il était censé passer. A quoi ça sert d’être dans sa clinique ?
-                    
-                     Mouais.
-                    
-                     Non, je l’ai renvoyée chez elle. Avec ses airs tragiques. Elle s’imagine peut-être que si elle reste là à me fixer ça va me guérir ?
-                    
-                     Ecoute je fais aller. J’ai eu Martineau tout à l’heure qui ne s’est rendu compte de rien.
-                    
-                     Si, ça fait mal. Mais je veux pas de leurs trucs, là. Tu sais moi les médicaments… moins j’en prends mieux je me porte.
-                    
-                     C’est ça. Salut.

C’est quoi le problème avec les antidouleurs et le sommeil ? Ils aimeraient tous qu’il se shoote. On dirait que ça les rassure. Comme s’il ne pouvait pas se débrouiller tout seul. C’est comme les visites de Jeanne. Elle croit bien faire et ça le tue d’écouter ses jérémiades. Evidemment, ça ne fait pas très longtemps qu’ils se connaissent et elle est folle de lui, la pauvre. Pas une raison pour envahir son espace vital.
Enfin seul, grogne-t-il en raccrochant d’un doigt son portable. Le faux silence de l’hôpital envahit la pièce, plein de bips assourdis et de conversations distantes. La nuit tombe.

Il est couché quand une sonnerie retentit à nouveau et d’abord il ne comprend pas. Il retourne son portable dans tous les sens avant de réaliser qu’il s’agit du téléphone à son chevet. Il ne savait même pas qu’il fonctionnait.
-                     Allô ! Son ton est rageur. Il n’a donné ce numéro à personne. Il déteste répondre sans savoir qui l’appelle.
-                     Allô ? C’est une petite voix qui fait basculer sa belle assurance. Il hésite une seconde. Se racle bruyamment la gorge.
-                     Allô … qui est à l’appareil ?
-                     C’est.. ; c’est moi Il a très bien compris et son cœur fait encore des bonds dans sa poitrine mais il préfère demander méchamment
-                     Qui, moi ?
-                     C’est Catherine. La voix tremble et sombre : Oh, Baptiste… un long silence au bout du fil. Il peut deviner sa lourde respiration. Elle pleure.
De quel droit ?
-                     Qu’est ce que tu veux ?
Sa voix est lointaine. Elle est retournée au Canada, si ça se trouve. Il ne sait rien de sa nouvelle vie.
-                     Je… Elle contrôle les larmes de sa voix pour articuler… j’ai appris, Baptiste. Je voulais te dire que je suis désolée. Je pense à toi.
Il reconnaît ce ton. Comme si elle parlait à un petit enfant. Ça le blesse. Elle croit peut-être qu’elle peut quelque chose pour lui. Elle aimerait certainement qu’il lui dise qu’il est très malheureux.
-                     Comment t’as su ?
-                     Tu as encore des amis tu sais. Malgré son petit rire elle a hésité avant de répondre. Il aimerait bien savoir lequel de ses prétendus amis a jugé nécessaire de prévenir Catherine… Tout le monde le prend pour un demeuré depuis quelques jours.
-                     Et alors, qu’est ce que je peux faire pour toi ? Il regrette un peu ce ton arrogant. En réalité il n’est plus habitué à parler autrement.
-                     Ne me mens pas, Baptiste, tu souffres ?
Il ricane un instant avant de répondre
-                     Rien d’insupportable.
Dans son ventre la douleur sent qu’on parle d’elle et rugit comme une bête. Heureusement Catherine n’est pas là pour le voir se plier en deux. Juste une petite inflexion dans sa voix. Elle la mettra peut-être sur le compte de la distance.
Au bout du fil, elle soupire, pas dupe.
-                     Tu as des visites ? Tu n’es pas trop seul ? Nous y voilà. Elle a l’air de penser qu’il est devenu tellement affreux que personne ne vient plus le voir.
-                     Oh oui, trop. C’est surtout Jeanne qui est là beaucoup. Tu sais, tu as dû la voir à la télé, elle présente le journal.
-                     Ah ? d’accord.
-                     Oui, elle s’occupe beaucoup de moi. Elle ne va pas tarder d’ailleurs. Je devrais te laisser, à ce moment-là, tu comprends, elle est assez jalouse.
-                     Je suis contente pour toi. Elle respire calmement comme quelqu’un qui sait ce qu’il fait : Ecoute, Baptiste… J’allais te proposer de venir.
Son cœur s’est décroché dans sa poitrine. Longuement il le sent rebondir au fond. Elle ferait ça ?
-                     Tu m’as bien entendue. Est-ce que tu veux que je vienne ? Je pourrais m’occuper de toi. Il la sent sourire au bout du fil. Je crois que je me souviendrai.
La panique le submerge. Il embrasse du regard la pièce autour de lui, la lumière de la loupiotte glauque au-dessus du cabinet de toilette, le plateau du dîner auquel il n’a pas touché et ses propres jambes amaigries étendues sur les draps jaunes. S’attarde un instant sur les rares touffes de poils qui lui restent çà-et-là.
-                     Pas question. Je veux dire… non, merci. C’est gentil à toi, Catherine, mais ça va aller.
-                     Ah.       Bon... Tu es sûr ?
-                     Oui.
Elle soupire. Soulagée ?
-                     Alors, je te laisse. Prends soin de toi, Baptiste.
-                     Oui.
-                     A bientôt.
-                     C’est ça.
Il attend qu’elle raccroche. Réalise soudain qu’il ne sait même pas où la joindre. Il reste là, à tripoter le fil en tire-bouchon, le vieux combiné à la main, jusqu’à l’arrivée de l’équipe de nuit.
« un somnifère pour ce soir, monsieur ? »

Et là, pour la première fois, il répond : oui. S’il vous plaît.

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