mercredi 26 janvier 2011

Sommet


Je suis parvenu en haut avant elle, aiguillonné par la colère. Le point de côté se dissipe peu à peu et laisse de nouveau place à mon ennemie familière, sourde douleur toxique. Je la hais. Elle susurre à mon oreille son habituel chant de sirène. Celui qui dit que ça ne va pas. Qui me fait grogner comme un ours. Le souffle qui me revient peu à peu me rend lentement au paysage. Mes poumons peureux inspirent presque malgré eux un peu de cet espace immense qui éloigne l’angoisse et desserre l’étau. Je suis seul là-haut.
Sauf que suis tout à fait contre toute forme de quiétude. Là, maintenant, je veux me battre. Je donne des coups de pieds rageurs au hasard. Me vient ensuite l’envie de jeter quelque chose dans le vide. Un premier caillou, qui rebondit avec un fracas qui me ravit. A mi-course, il se brise même en deux, avant que je ne le perde de vue. Assis dans le givre qui enveloppe l’herbe calcinée, méthodiquement, je lance des cailloux, de plus en plus gros. Il me semble que quelque part au fond du gouffre, là-bas, se créé un petit tas qui deviendra une ville, un monde où pourraient naître à nouveau l’espoir, la vie. Mes yeux rencontrent une main amaigrie, absurdement crispée sur une pierre trop lisse. Est-elle à moi, cette serre ? À moi, ce corps qui rapetisse et rechigne à chaque instant ?
Avec les pierres qui claquent, je jette loin par-dessus bord ce lutin hostile qui me ronge, et la douleur et la peur qui l’accompagnent de leurs rires grinçants. Je les méprise et je les regarde dégringoler et se disloquer sans une larme. Avec eux, les mots terribles que j’aurais préféré ne jamais rencontrer, portés par une voix blanche qui se voulait rassurante, paternaliste ou neutre, qui pourtant a vrillé mes oreilles et me rendant immédiatement sourd à tout le reste. Les mots qui me disaient irrémédiablement malade, souffrant, patient.
Plus jamais le même. Voilà ce que j’ai entendu. Depuis je suis fâché. Contre absolument tout.
D’ailleurs j’ai failli ne pas venir ici. Dire que j’ai accepté cette promenade pour lui faire plaisir, elle qui s’inquiète tellement et m’épuise de ses sollicitudes brouillonnes. Et dire que j’allais encore me terrer dans ma douleur, croyant naïvement combattre le dragon. Le lent travail se poursuit dans mes os, je le sais. Je ne suis pas naïf. Ici aussi, le serpent grignote peu à peu ce qui me fait, moi. Mais, en riant, debout, je le défie. Je lui offre à manger : tiens, ça aussi, vas-y ! Mange l’air froid et le bonheur et la brume qui descend là-bas. Casse-toi les dents sur les cailloux qui dévalent, sur le sommet d’en face plein de neige ! Ça aussi c’est moi. Alors vas-y. Si tu crois que tu es assez fort.
Quand elle arrive essoufflée et en colère, elle peste contre les abrutis qui ont failli la tuer en jetant des cailloux de tout en haut sur le chemin. Elle râle contre moi qui l’ai plantée là dans la montée. Il paraît que je suis un fanfaron et que si je me voyais, je ferais moins le fier. Elle craint que je n’aie froid, m’enveloppe dans un châle rouge. Elle pleure, d’un coup ; j’ai si peur, me dit-elle. Ne t’en fais pas. Je peux le dire cette fois. Ne t’en fais pas, je suis là. Je ne suis pas sûr que ce soit bien à elle que je parle.

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