mercredi 26 janvier 2011

Per Olov Enquist



           C’est un homme, vivant, suédois.

            Un vrai romancier, à la Dumas, riche du don de faire sienne une matière documentaire foisonnante et précise pour nous plonger sans retour possible dans des histoires. Car c’est là que tout tient : de grandes histoires de roman, avec ambiance inimitable, passions et destin. Des romans qui vous prennent par la main et vous fascinent. 
           Que savez-vous au juste de la vie des paysans suédois au début du siècle ? ( Le départ des musiciens, social et violent, aliénation par le travail et obscurantisme religieux, la désespérance d’un monde qui se tourne vers l’Amérique comme une terre promise), de l’histoire d’un roi du Danemark et d’un médecin parvenu et libre ? (Le médecin personnel du roi, folie et luttes de pouvoir, amours et naïveté dans une Europe où les Lumières ne sont encore qu’une utopie)
           Si vous êtes comme moi, pas grand-chose. Et pourtant, à tout moment, on sent la vérité historique et humaine qui traverse le roman et on s’interroge : un jeu permanent sur la véracité s’établit entre l’auteur et le lecteur. La plus grande part est réelle, avérée, et c’est d’ailleurs la marque de fabrique de cet auteur qui appartient à un courant littéraire dit « documentariste »… mais heureusement, nous ne saurons jamais, faute de curiosité ou de patience, ce qui est de la fiction et ce qui ne l’est pas ! La force du récit, le mouvement propre des personnages gagnent bien vite selon moi la bataille avec l'érudition.
           Obscurantisme, folie, bien et mal absolus, quête du pouvoir, religion, maladie et monstruosité. Dans cet environnement, les rapports infiniment complexes entre les individus en général et les hommes et les femmes fermentent et font monter des histoires de passions universelles. 
           Le ton est sec, oral parfois, toujours honnête. La narration se construit comme un tableau de travail sur lequel on épinglerait diverses bribes pour créer une ambiance. Pas toujours facile, c'est vrai, mais quelle importance ? l'histoire se construit par petites touches. Tout prendra sa place en temps voulu. On ne peut qu’être pénétré d’admiration quand on voit avec quelle aisance l’auteur se fond d’un personnage et d'un sujet à l’autre avec à chaque fois une expression différente.
           Connaissez-vous ce tableau ? C'est la Leçon de Charcot, véritable grand messe qui  permettait au maître incontesté de la neurologie française d'instruire sur l'hystérie la fine fleur des médecins de l'âme - dont Freud, en son temps .
           La femme en pâmoison dans les bras de l'assistant (un certain Babinski), c'est Blanche Wittmann, l’hystérique « attitrée » de Charcot. Cette folle internée à la Salpêtrière a été pendant des années la pièce maîtresse du spectacle. Sur ordre, elle entrait en transe, la fameuse crise hystérique avec cris et convulsions, répondant à la moindre sollicitation du maître.
 
           Quoi de plus romanesque que ce numéro de duettistes ? Cette folle magnifiquement légitimée pauprès du grand savant ar son rôle de muse ? Une femme dépoitraillée, amoureuse, sauvage et désinhibée, en pleine Troisième République… En une intuition géniale, Enquist en fait l’amie et confidente passionnée d’une Marie Curie sans concession, sacrifiée elle aussi sur le double autel de la science et de la moralité.  Il tisse un portrait triangulaire, par petites touches, : Marie, Blanche, Charcot. N’hésite pas à utiliser la première personne, à inventer des carnets intimes. Il nous plonge à l’intérieur de vies rocambolesques et criantes de vérité, dans les eaux troubles d’une folie si moderne qu’on a du mal à en définir les contours. Les hommes, en creux, sont à la fois les dieux et les bourreaux de ces femmes libres et si peu dupes.
           Mais le premier personnage de ce roman, jusqu’à la folie, c’est la passion. 

Blanche et Marie, Actes Sud, 2007, 258 pages.

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