dimanche 6 février 2011

Laferrière, Gaudé et les catastrophes

Il y a des événements traumatiques colossaux. Si énormes que, pendant un temps – de durée inversement proportionnelle à l’ampleur de l’émotion – ils monopolisent la compassion. Le tsunami, Katrina, Haïti et son tremblement de terre, le onze septembre.
Suis-je la seule à être plutôt encline à reposer le livre qui s’y réfèrerait trop frontalement ? Trop-plein d’information ? Soupçon de racolage émotionnel ? Ma réticence existe, en tout cas.

Sauf que certains noms sont, à eux seuls, gage d’honnêteté littéraire et de pudeur. Ainsi, si la question revient sur mon tapis, c’est grâce au beau livre de Dany Laferrière, Tout bouge autour de moi.
Dany Laferrière est un homme, haïtien, vivant depuis des années au Canada. Il se trouvait à Port-au-Prince le 12 janvier 2010, à 16 h 53, quand tout a commencé. Tous les critiques littéraires et les nombreux lecteurs de son livre vous diront à quel point il est sobre, poignant, sincère.
Pour survire au choc, Laferrière comme tout le monde doit continuer. Un pied devant l’autre. En l’occurrence, écrire. Penser. Auprès de sa famille, de ses amis : intellectuels, journalistes, artistes. De cette nécessité impérieuse naît le livre, tel quel. Un récit morcelé en courts paragraphes à la première personne. Un témoignage empreint du recul d’un haïtien vivant à l’étranger, mais tout palpitant encore de la légitimité du témoin. Mieux, de la victime directe.
Mais voilà qu’apparaît le neveu de l’écrivain, celui qui porte le même nom que lui, et qui ose carrément lui demander de ne pas écrire sur le séisme, qu’il revendique pour lui-même et sa génération. 
« La mienne, c’était la dictature. Lui, c’est le séisme »
A mesure que la presse envahit le terrain et que l’idée même de création littéraire recule devant le flot d’images et d’émotion, la question devient plus pressante : qui écrira le roman du séisme ? «  Ce grand roman d’écriture classique qui se passe en un lieu (Haïti), en un temps (16 h 53), et qui met en scène plus de deux millions de personnages. »

Qui en a la légitimité ? Tout le monde, répond Laferrière.
Qui en a les épaules ? Personne. Tolstoï, peut-être.
Et l’auteur de conclure, non sans humour, que c’est Graham Greene qui a écrit le grand roman sur la dictature de Papa Doc et qu’on ne se souvient du tremblement de terre de Lisbonne que par le poème de Voltaire.


Ce qui m’amène à évoquer Ouragan, de Laurent Gaudé, (homme, vivant, français - décidément parmi les très grands). Voilà un blanc de France qui, s’il a prouvé auparavant une sensibilité humaine qui passe les frontières, n’avait à ma connaissance rien à voir avec les noirs pauvres de la Nouvelle –Orléans. 
Mais voilà… Unité de temps et de lieu, urgence de la catastrophe, choc social, résurgence des sombres forces des bayous, universalité et violence des émotions : il est peut être là le grand roman, épique et sauvage du débordement de cette nature-là.

Alors oui, comme dirait l’autre, on peut écrire sur tout. Mais il ne faut pas être n’importe qui.


PS : 
 J’attends vos réactions, vos idées, vos exemples !
 on pourrait évoquer aussi 
-L’homme qui tombe de Don De Dillo, sur le onze septembre et ses conséquences intimes pour un couple de new-yorkais parmi d’autres ; 
- ou la première partie de D’autres vies que la mienne, d’Emmanuel Carrère, sur le tsunami en Thaïlande.


4 commentaires:

  1. Commentaire de Philippe
    “J'ajoute à la liste les textes innombrables sur la Shoah, où la mort de l'homme et celles de Dieu sont en jeu. Et une autre piste : écrire dans et contre la catastrophe.”

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  2. Commentaire de Bruno
    "Un choc, Ouragan, de Gaudé. J'ai lu ce livre d'un trait, souffle coupé par la puissance d'évocation de cette écriture, je n'avais jamais lu un auteur capable de faire s'interpénétrer ainsi dans le même texte, dans ces phrases interminables, les pensées, sentiments et actes de personnages qui se rejoignent sans le savoir dans le grand mystère des interactions qui produisent une sorte de "grand tout" dont nous sommes sans toujours en avoir la pleine conscience. "

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  3. Commentaire de Jay
    "Merci Madyka pour ce texte et ces pistes de réflexion...De Laurent Gaudé, je viens de terminer la magnifique "Les Sacrifiées" , je vais donc m'empresser de lire Ouragan ! Merci !
    J'aimerais aussi sur ce thème recommander la lecture du presque chef-d'œuvre d'Alain Fleischer, "La Hache et le Violon", fresque immense - je n'ai pas encore rouvert un livre depuis - politique et poétique de la fin du monde ! "

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  4. De laferrière j'ai lu le charmes des après-midi sans fin, très beau. je viens de terminer ouragan, magnifique, sublime ! J'ai bcp aimé sur le même thème zola jackson de leroy.

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