mardi 10 mai 2011

Création et procréation

Créer et procréer.
Deux activités parallèles qui partagent un vocabulaire « une œuvre en gestation, donner naissance, pondre ». J’emploie à dessein le mot parallèle - les parallèles ne se rencontrent jamais - car l’histoire de la conquête littéraire par les femmes est pavée des noms de celles qui ont choisi l’une contre l’autre. Virginia Woolf, Simone de Beauvoir. Sur l’autre versant sont celles qui ont réussi à écrire malgré les contraintes d’une vie domestique. Modes passagères des femmes de lettres, confort des classes aisées, enfants confiés à des nourrices… Tous les aménagements furent bons pour obtenir « une chambre à soi ».
Pour les femmes, en tout cas, et contrairement aux hommes, la question se pose systématiquement : femme de lettres, oui, mais alors, et les enfants ? Les clichés ont la vie dure.

© Anne Rotschild
Y aurait-il une littérature de femme ? Je me suis souvent posé la question. Alors, évasion silencieuse des éternelles mineures qui ne vivraient que par procuration ? Trésors de subtilité de l’hypothétique sensibilité féminine ? Ce serait faire injure à un Henry James… Qui sont-elles les femmes qui écrivent ? Comtesse de Ségur, madame de Lafayette ? De petites choses fragiles pleurant la chute d’une rose ou la mort d’un papillon, dans le papier de soie froissé d’une Emily Dickinson ? De vieilles Agatha Christie recluses, confites en imagination dans les turpitudes de l’âme humaine ? Mais pourtant, cette prose batailleuse, de Doris Lessing à Virginie Despentes ? Et que faire d’une Isabelle Eberhardt arpentant les déserts, déguisée en homme, et pourtant femme et amante sans frontière ? Je ne crois pas qu’on puisse trouver un autre point commun entre leurs œuvres que la bataille continuelle qu’elles ont dû mener pour écrire. Contre les hommes, contre les contingences, contre elles-mêmes.
Il me semble que la servitude première des femmes est la gestion de la vie matérielle dans sa quotidienneté. Il suffit d’entendre Toni Morisson raconter qu’elle a longtemps écrit entre cinq et sept heures le matin, avant le réveil de ses enfants. Il suffit de voir à quel point les carnets d’une Maria Tsaeteva sont imprégnés d’une nécessité animale, celle de nourrir les siens. Et à quel point cela aussi est littérature.
Voilà comment je retombe sur mes pieds. L’opposition entre l’esprit élevé des auteurs et la vie terre à terre des femmes n’a aucun sens. Voilà ce qui est moderne, pour moi : ne pas se sentir obligé de passer sous silence cette vie là. Il n’y a pas de sujet mineur. Assez de poésie et d’angoisse dans la vie de chacun de nous pour alimenter mille romans. Créer une maison, un foyer, un chemin pour sa vie, cela n’a rien de secondaire. Non seulement création et procréation ne sont pas antithétiques, mais l'une alimente l’autre, deux facettes d’une même vie. 
Mais surtout, dites moi : pourquoi encore ce besoin de me justifier ?

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire